TROP DE BONHEUR… NUIT AU BONHEUR (Propos recueillis par Thierry Cholet dans Pavillon Rouge N°14)

Pour sa nouvelle série, le père de Sillage nous fait faire un bond d'un cinquantaine d'années dans le futur. La France des années 2050 est un monde dominé par l'argent, les drogues et les sectes. Déjà vu ? Peut-être, mais pas traité à la "sauce bonheur".
 

AU BONHEUR DU PITCH
Résumer l'intrigue de Trop de bonheur tient de l'exercice à haut risque. Difficile de ne pas en dire trop. Difficile aussi de résumer un livre qui ne se construit que sur la longueur. On entre dans le récit comme dans une partie de colin-maillard, les yeux bandés. Un bref prologue suggère la découverte d'un être inconnu par un groupe de mercenaires qui vient d'effacer un village indien de la carte. Ensuite, le lecteur est plongé dans une France futuriste peu enthousiasmante. On v vend des drogues de synthèse et des implants permettant de voir un monde idyllique à la place de la réalité hideuse. La milice traque sans merci les jeunes déviants, qui cherchent encore des substances naturelles pour se rouler un pétard. Deux groupes rivaux sont sur la piste d'une espèce de cagoule lilliputien qui serait l'incarnation du bonheur. Il s'appelle Bilou. Et il semble être la clé de l'énigme.


Marseille, 2049 : une pieuvre aux tentacules autoroutiers, savant mélange d'architecture héritée du passé et de modernisme. Pour le dessinateur Steven Lejeune, " une ville sclérosée qui se repose sur son passé en tenant compte des réalités de son époque, comme ces digues de retenue résultant de /a montée des eaux ». Pour le scénariste, Jean David Morvan, " un décor idéal pour montrer l'évolution logique de notre société " En un peu moins de cinquante ans, Marseille a débordé de ses frontières et ne forme plus qu’une seule ville avec Aix. La Provence semble avoir perdu tous ses charmes. Tous ? Peut-être pas. L'un des personnages de l’histoire ne s appelle-t-il pas Pagnol ? Une belle façon de rendre hommage à ce Sud que les deux auteurs connaissent bien.


Et le bonheur, dans tout ça ?
Rassurez-vous, on en parle. On ne parle même que de ça, dans cet album aux allures de |eu de piste effréné. " Pour la structure, on est parti de Snatch, /e film de Guy Devis, qu'on a vraiment aimé tous les deux. Le principe est le même plein de gens qui courent tous après la même chose. Sauf que dans notre histoire, c'est après quelque chose de
vivant que tout le monde court ", commente Jean David. Cette cible vivante, eh bien, c’est le Bonheur. Bilou de son petit nom. Pas plus haut que trois pommes, encapuchonné et masqué, ce n'est que vers la fin de 1 album qu’il tombe sa veste. La surprise est de taille (on vous la laisse !), elle explique pourquoi ce nouveau messie provoque d'étranges comportements chez les patients de l’aile secrète de l'hôpital d'Aix.


« J'avoue, je ne suis qu’un dealer de scénars ! » Jean David Morvan
 

Télescopage entre une bande de cangaceiros (rebelles, ndlr) caricaturaux, une secte très hiérarchisée et deux gosses paumés en fuite avec leur beau-père. Trop de bonheur est un puzzle que le lecteur doit reconstituer. Un défi que Steven Lejeune s’est plu à relever. " A la différence d un film, une bande dessinée ne peut pas s'appréhender d'un seul tenant. Il
est donc dangereux de proposer une structure éclatée comme celle-là. L’album ne constitue qu un chapitre de l'histoire, il ne faut pas perdre le lecteur en route. Il y a plusieurs routes, plusieurs droites, qui finissent par se rejoindre. L'avantage de cette narration, c’est qu’elle permet à différents styles de dessin de cohabiter. Il y a un côté «patch-work»,l/e style réaliste des scènes d’action et le style semi-comique appliqué aux membres de la secte coexistent harmonieusement et me permettent de m’amuser. »
 

LE BONHEUR SELON Jean-David MORVAN

Le thème des bonheurs artificiels est au centre de l'histoire, qu'il s'agisse de l'implant de Pagnol, des doses récupérées dans la valise, de la mystérieuse présence de Bilou... ou tout simplement du titre de la série. Qu'as-tu à dire pour ta défense ?
J’avoue, je ne suis qu’un dealer de scénars ! En fait, la drogue est le thème central de la BD. Mais c’est une drogue singulière qui va supplanter toutes les autres... Une drogue fabriquée d’une bien étrange manière, une drogue qui rend VRAIMENT heureux, et sans accoutumance, sauf au bonheur, D où le titre.


Il n'y a pas à proprement parler de héros dans ce premier album. Chaque personnage, bon ou méchant, semble avoir la même importance. Pourquoi ?
Parce que dans ce récit, le plus important, c’est le thème et non pas les personnages. Évidemment, c’est par eux que passent les émotions, donc il faut les rendre vivants, et je m’y emploie. Mais ce qui nous intéressait, c’était de traiter avant tout les réactions de gens différents face à l’arrivée de cette nouvelle drogue. Alors, on essaye de les développer tous en même temps pour bien les connaître avant qu ils ne changent. Du coup, c’est vrai qu’il y a déjà plein de monde dans ce tome 1 mais nous découvrirons de nouveaux groupuscules dans le tome 2, dont certains très étranges . Ce qui les réunit ? Ils courent tous après la même chose. On sort un peu du cadre « classique » de la bande dessinée de ce genre, mais c’est ça qui est intéressant. Et marrant, aussi.

Que peux-tu dévoiler de la suite l'histoire ?
Comme je viens de le dire, il va y avoir de nouveaux groupuscules. Attendez-vous aussi, aux changements de personnalité des personnages. Pas mal d'action, et puis... Pff, vous verrez bien.


As-tu déjà une idée du nombre de tomes qui seront nécessaires à la résolution l'intrigue, hors second cycle éventuel.
Quatre albums en tout, a priori, pas de second cycle.


Comment en es-tu arrivé à travail avec Steven Lejeune ?
J’ai un jour reçu un coup de fil de Dominique Latil (qu’il en soit encore une fois remercié) me disait qu'il avait à côté de lui un jeune dessinateur de 18 ans qui aimerait travailler avec moi. J'ai dit « OK » pour qu'on me faxe des pages, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit si bien, à vrai dire. J'ai appelé Steven le soir. Il croyait que c'était une blague, mais une fois qu’il a fini par me prendre au sérieux, on s’est mis d accord pour lancer une série. Il m'a fallu quasiment six mois avant de trouver l'idée que je cherchais... Il a, en fait, suffi d'un épisode d’Urgence. Tout est venu d'un coup ; à la fin de l'épisode, j'avais déjà le début, la fin et la structure globale de mon histoire.

Thierry Cholet


«Pour la structure, on est parti de Snatch, le film de Guy Davis (…). » JD Morvan