Il était une
fois…. Un conteur à la verve inépuisable nommé Alain Ayroles. Tout petit
déjà, alors que sa marraine, la fée de l’humour, le berçait, il désirait
faire partager son talent grâce à la bande dessinée. Armé de belles
histoires, il tenta d’affronter seul l’ogre de l’édition. Il se sortit de
cette terrible épreuve grâce à la rencontre d’un chevalier aux crayons bien
taillés et d’un magicien de la couleur. Dès lors, il vécurent heureux et
firent de bons albums.
Il était une fois…
J’avais réalisé de nombreuses illustrations de contes de fées, et
j’avais écrit des courts récits. Initialement, je destinais Garulfo à être
l’un de ces petits récits pour enfants. Quand j’ai commencé à rédiger le
texte, alors que j’avais déjà quelques recherches graphiques dans mes
cartons, je me suis rendu compte que le ton ne convenait pas. Dès lors, je
n’avais plus envie d’en faire un bouquin pour enfants car j’aurais dû trop
m’autocensurer. En cours d’écriture, j’ai pris conscience qu’il y avait plus
d’humour que de merveilleux dans ce que je voulais raconter, même si
l'aspect «conte de fées» restait important, ce qui interdisait d'autant plus
le texte illustré comme médium. J'ai alors pensé à la bande dessinée, à
laquelle ie m'étais déjà un peu frotté, et ai commencé à faire quelques
découpages. Et là, ça coulait de source. En effet, la BD s'y prêtait mieux
grâce aux différents niveaux de lecture quelle propose : toutes les
subtilités qu'on peut glisser dans un dessin, tous les ressorts narratifs
qu’offre l'association texte/image, permettent de jouer sur plusieurs
niveaux de compréhension. On peut donc avoir une histoire assez simple, qui,
en même temps, fourmille de détails, d'à-côtés subtils... De plus, d’un
point de vue purement éditorial, la bande dessinée peut être proposée à tous
les types de lecteurs, ce qui est loin d'être le cas du «livre pour
enfants» !
«Ma démarche a été de prendre le contre-pied du conte
classique. »
Pour revenir à Garulfo, j’avais, à l'époque, plusieurs projets de contes de
fées avec des personnages animaliers. Ma démarche a alors été de prendre le
contre-pied du conte classique en inversant la donne ; le prince, transformé
en grenouille, devient la grenouille devenue prince. Je voyais déjà tout ce
que l'idée pouvait apporter comme quiproquos et décalages que créerait la
présence d'un animal parmi les humains. J'ai ensuite fait des découpages,
puis des pages que j'ai encrées, et même mises en couleurs. Avec ces
planches et le scénario des deux premiers tomes sous le bras, j’ai fait la
tournée des
éditeurs. Mon projet a été refusé... bien que le scénario plaise assez. La
plupart des éditeurs - Guy Delcourt compris - se demandaient bien dans
quelle collection ils pourraient placer ce «machin» ; ce n'était ni tout à
fait de l'humour, ni tout à fait du merveilleux, ni pour enfants, ni pour
adultes... Malgré ce côté bâtard, le scénario plaisait... mais pas le dessin
! Comme jean-Luc Loyer m'avait conseillé de bosser avec un dessinateur, et
que Bruno Maïorana, qui voulait faire de la BD, m'a conquis avec son superbe
dossier d'illustrations, Garulfo prenait un nouvel envol : un projet démarre
seul, qui se termine en fructueuse collaboration...
Troubadour
Bruno Maïorana est né en 1966 à
Angoulême. En 1986, il entre aux Beaux-Arts de la ville, où s'affirme
son talent de graphiste hors pair. Le dessin animé, pour lequel
iltravaille plusieurs années, lui permet de perfectionner sa maîtrise
du trait. Jadis grand lecteur de bandes dessinées, Maïorana préfère
aujourd’hui éviter les interférences.
Passionné d'histoire, plus particulièrement du Moyen Age et de la
Renaissance, il a su mettre pour Garulfo la précision historique au
service de l'imaginaire en intégrant des éléments d'époque (costumes,
décors) très réalistes à cet univers fantaisiste. |
« J’ai pris conscience qu’il y avait plus d’humour que de merveilleux dans
ce que je voulais raconter. »
Ménestrel
Alain Ayroles est né en 1968 dans le Lot. Il
étudie de 1986 à 1990 aux Beaux-Arts d’Angoulême, puis travaille pour
le dessin animé. Il a participé à de nombreuses revues de bande
dessinée : L’Original, Racaille, Rackam, Putsch, Yéti, en tant que
scénariste et dessinateur. Après avoir signé le Contrat dans le
premier tome des Enfants du Nil, il s’attaque aux scénario de deux
séries pour les éditions Delcourt : De cape et de Crocs et Garulfo |
Tel Monsieur Jourdain...
Je peaufine beaucoup mes dialogues. Que ce soit du texte illustré, un roman,
des dialogues de cinéma ou de bande dessinée, un réel travail d'écriture est
toujours nécessaire. En effet, le dialogue donne de la vie à une situation.
Un scénariste ne doit pas se contenter de dialogues informatifs, destinés
uniquement à faire progresser l'histoire. Attention, «dialogues travaillés»
ne veut pas dire qu'ils doivent être ampoulés. Il peut s'agir, si la
situation s'y prête, d'un langage vif et percutant. Cela dit, aucune règle
n'est de mise, certains auteurs vont préférer des textes très littéraires,
d'autres vont privilégier un langage parlé ; personnellement, l'apprécie de
mélanger les deux. Et pour cause, je trouve amusant de mêler deux registres
qui semblent incompatibles. Dans Garulfo, j'aime bien jouer sur le contraste
qu'offre un langage désuet (en utilisant un vocabulaire et des tournures
médiévales), suivi de répliques dans un langage contemporain aux tournures
vives. Ce choix donne de l'épaisseur aux personnages qui, tous, acquièrent
ainsi leur propre façon de s'exprimer. Le cas le plus flagrant, par exemple,
c'est Garulfo et Romuald : lorsqu'ils sont dans l'armure, on ne voit pas qui
parle et pourtant le lecteur n'a aucun doute sur l'identité de celui qui
s'exprime.
Héphylie
La fille du
roi de Brandelune attend la venue du prince charmant. Dans sa quête
romantique, celle « dont les ménestrels chantent en tous lieux la
grâce et la beauté » tombe éperdument amoureuse de Garulfo. Mais il y
a méprise, puisque sous la belle étoffe d'un prince, c’est l’âme
généreuse de la grenouille qui la séduit. D’abord capricieuse et
inconséquente, la belle gagnera en sagesse au contact d'un précieux
ami : un ogre aux sentiments purs comme du cristal. |
L’histoire selon Garulfo :
Contrairement à De cape et de crocs qui se déroule dans une
époque précise, je n'ai pas fait beaucoup de recherches documentaires pour
Garulfo. Nous sommes, ici, dans l'univers du conte de fées, l'environnement
doit donc rester un peu flou et trouver ses
références dans une période s'étalant du bas Moyen Âge à la Renaissance.
Cela dit, Bruno et moi, nous nous sommes amusés à placer quelques éléments
historiques de-ci, de-là. En effet, il s'est beaucoup documenté sur les
costumes, les décors... Nous avons aussi convenu que les différents royaumes
trouvent leurs références dans des époques différentes : le royaume de
Miralonde se situe plutôt à la fin du XVI° siècle pour les costumes et
l'architecture, celui de Brandelune lorgne du côté du début XVe, quant au
royaume du Lambrusquet c'est la fin XIVe. Pour le vocabulaire, je me suis
renseigné sur les termes de tournois et les déclarations typiques engendrées
par la situation ; une phrase comme « Un très joyeux, très preux et très
noble tournoi» est une véritable formule d'ouverture. Bruno a poussé le
souci du détail en se documentant sur les éléments des armures, savoir
comment elles fonctionnent, comment elles s'articulent... Je trouve très
amusant de voir une telle précision historique au service du «n'importe
quoi»! Il faut reconnaître à notre (dé-)charge, que nous sommes tous deux
passionnés d'Histoire. Je me souviens d'ailleurs, lors d'une visite de la
salle du château de Blois où a été assassiné le Duc de Guise, avoir vu Bruno
entrer dans une espèce de transe mystique (rires).
Garulfo
Cette grenouille courtoise, diserte et naïve, voue une
admiration sans borne aux humains et rêve d'échapper à sa condition
d'amphibien. Une sorcière exauce son souhait : le baiser d'une
princesse va le métamorphoser en homme. Mais le candide batracien va
rebondir de désenchantements en désillusions : la condition humaine
s’avère bien moins enviable qu’il n'y
paraissait depuis les abords de sa mare. Pourtant, Garulfo veut
toujours croire en l'homme. Cet incurable optimiste reste persuadé
qu'il y a du bon à pécher chez ces étranges bipèdes ! |
La rainette
« Bondissante beauté aux yeux globuleux », elle
représente le lien qui unit Garulfo au monde animal, une fille « nature
» en somme. Elle est appelée à devenir la mère d'une abondante
progéniture car comme le veut la morale du conte, " ils vécurent
heureux, et eurent beaucoup... de têtards » |
De l’art du scénario
Je donne à Bruno un découpage graphique assez poussé. Cela peut paraître un
peu contraignant pour le dessinateur, mais notre méthode de travail bien
rodée lui permet ainsi de se décharger de tout fardeau narratif, et, par
conséquent, de se concentrer et donner la pleine mesure de son talent sur le
dessin. De même, comme Garulfo est une série qui repose sur l'humour, elle
comprend de nombreux gags visuels. Or, cela nécessite un découpage très
précis, qui ne souffre pas l'à-peu-près... Il doit être compris comme une
sorte de chorégraphie. La bande dessinée se caractérise par le rapport
qu'entretiennent textes et images ; certains dialogues ne peuvent
fonctionner que selon les attitudes, le «jeu d'acteur» des personnages dans
la case. De même, la position des bulles guide l’œil du lecteur. La
composition même de la case peut créer l'illusion d'un mouvement, car le
lecteur va suivre des lignes et des courbes jusqu'à l'endroit où l'on désire
le mener. Il y a aussi tout un travail sur le rythme de lecture. Par
exemple, sur une grande case de paysage l'œil va passer assez vite, mais
pour imprimer un rythme plus contemplatif, on glisse une petite bulle qui
retient l'œil. On donne ainsi l'illusion fugace au lecteur d'avoir parcouru
lentement un paysage à la manière du panoramique de cinéma.
« Quand j’écris un récit sérieux, je n’arrive pas à tenir
plus de trois pages »
Je travaille avec un synopsis, des notes et un chemin de fer
(tableau représentant les pages de l'album avec un résumé, ndlr) fait au
pifomètre... A partir du moment où j'ai fait ce travail préliminaire de
synopsis, de prises de notes et de pré-découpage, j'attaque le découpage à
proprement parler et j'écris les dialogues au fur et à mesure. En effet, les
crobards, l'attitude d'un personnage, etc. peuvent m'inspirer un dialogue.
Je donne ensuite les pages découpées et dialoguées à Bruno qui me montre le
résultat final. Parfois, je réclame des corrections, mais uniquement s’il y
a un problème narratif. Au fil des albums, l'ai appris à moins intervenir.
Au début de mes collaborations, j'ai eu tendance à être très dirigiste,
voire tyrannique. Maintenant, j'ai appris à faire la part des choses et à ne
plus me mêler du dessin pur ; je ne demande de modifications que si ça nuit
à la narration et à la compréhension.
Romuald
Il est ne avec une cuillère en argent dans la bouche et
un sceptre dans les mains. Ce fils de roi, imbu de lui-même et sans
cœur, trouvera la chance inespérée de s'humaniser grâce à l'amour d'une
princesse et 1’amitié d'une grenouille. Garulfo va pourtant le
considérer longtemps comme : "Arrogant ! Désobligeant ! Suffisant !
M'as-tu-vu ! Vain, fat, grossier, odieux ! Indélicat, atrabilaire,
égoïste, sec, insensible, agressif, malveillant, querelleur, teigneux !
" |
Je m'occupe aussi du transfert des planches au coloriste, car les
indications à donner à Thierry (Leprévost) ne sont pas d'ordre graphique
mais narratif. Les indications à lui fournir sont de l'ordre de «jour»,
«nuit», «ambiance joyeuse», «ambiance sinistre»... qu'il interprétera à sa
façon. De même, toutes les autres indications données relèvent de la
narration ; par exemple, tel personnage a un costume rouge afin de mieux le
distinguer dans les scènes de foule...
L’Ogre
Il dévore tout ce qu'il trouve sur son passage. Ce monstre
qui terrorise les paysans de son fief a pourtant d’étranges délicatesses et
dissimule un cœur tendre... Mais comme il le dit lui-même : « Faut pas se
fier aux apparences : en fait, je suis qu'une grosse brute ! "
|
La contrainte et la manière :
Le
conte implique, par essence, une contrainte narrative forte : on connaît le
début et la fin... ce qui limite les choix. Cependant, le travail du
scénariste se trouve facilité, car il ne lui reste plus, alors, qu'à trouver
le milieu du récit (rires). De plus, comme un conte possède automatiquement
une fin très fermée, il est nécessaire de développer une mécanique
rigoureuse pour que tous les problèmes posés puissent se résoudre. De plus,
il y a un rythme très précis à respecter, ponctué par de nombreux passages
obligés: dans tous les contes, on retrouve la caverne, qui symbolise une
seconde naissance du héros, le monstre qu'il doit affronter et qui
représente sa part obscure, son double négatif... Tous ces ressorts
inhérents à ce genre littéraire sont indispensables et donnent au récit sa
force et son universalité. Garulfo peut donc se voir comme un récit
intégrant un aspect comique, qui prend des libertés par rapport au conte
classique, mais qui en respecte la structure et l'esprit. Un mot d'ordre à
cette démarche : le burlesque ne doit jamais nuire au merveilleux !
« J’ai envie de toucher les gens, de les amuser ou de les
émouvoir… »
M comme Molière ou Monty Python :
Lorsque j'ai initié le projet Garulfo, j'ai principalement été
influencé par les romans d'Italo Calvino (l'armure de Garulfo et Romuald
pourraient être celle de son «chevalier inexistant») et par les films des
Monty Python et de Terry Gilliam. J’étais épaté par leur capacité à allier
des situations absurdes et complètement décalées dans un univers crédible.
Si on regarde Sacré Graal, il est frappant d'y voir un Moyen Age réaliste :
au bout d'un moment, on ne fait plus attention à l'absence de chevaux.
Autres
influences : le film The Pnincess Bride de Rob Reiner et la série télévisée
Monstres & Merveilles de Jim Henson, qui avaient bien saisi l'essence du
conte de fées, et m'ont donné envie de me lancer dans ce genre de récit. Le
comique visuel, de situation, le nonsense, sont des formes d'humour
compatibles qui peuvent se marier et se compléter. Avec Garulfo, j'avais
envie de faire quelque chose de riche, quelque chose où l'on puisse trouver,
plusieurs niveaux de lecture, plusieurs formes de plaisirs visuels... Je
voulais de la densité, car j'ai toujours le souvenir d'albums comme Astérix
qui reste le plus bel exemple d'une bande dessinée que l’on peut lire enfant
ou adulte, tout en y découvrant, à chaque fois, des choses différentes.
Cependant, ce n’est pas chose aisée à réaliser, car, pour être compris par
tous, il faut veiller à ce que le récit reste accessible. Par exemple, si
j’utilise un terme médiéval pour renforcer l’ambiance, je vais me
débrouiller pour le placer là où il n'entravera pas le fil du récit. Si le
lecteur ne le comprend pas, il ne faut pas qu'il coince et arrête sa
lecture. S'il est assez curieux pour en lire la définition dans le dico,
tant mieux, sinon, il peut continuer à lire l'histoire malgré tout.
Drôle de ménagerie :
Le choix d'animaux comme personnages de mes récits est un effet,
et non une cause ! La principale raison de ce choix repose sur l'effet
humoristique : des animaux qui parlent, cela crée un décalage, des
situations absurdes, et permet des moments de pur comique visuel. Les
animaux favorisent le mélange des genres, on peut passer du cartoon à
l'absurde très facilement. De plus, ça me fait, personnellement, beaucoup
rire... Il n'y a donc aucun calcul de séduction... Mais si ça plaît, tant
mieux. (rires) !
La Sorcière
« Je suis Malvéliande ! Cruelle et repoussante, mon âme
est plus noire que la suie des fours infernaux. Je suis… une sorcière
! » Est-elle aussi méchante qu elle le prétend ?Sans doute pas,
puisqu'elle veille au destin de son filleul, le prince Romuald, à qui
elle entend apprendre l'art de l’humilité… Mais gare à son courroux :
la dame a le sortilège facile ! |
Le regard de l’autre :
Je parle souvent du regard du lecteur, car je m'inscris dans une
démarche de publication par laquelle l'ai envie de toucher les gens, de les
amuser ou de les émouvoir... Je réfléchis donc souvent en fonction du
lecteur et de sa compréhension. Les mauvais esprits pourraient crier à la
logique commerciale, mais pour moi c'est une logique de partage et de
respect du lecteur. Je comprends que l'on puisse faire une œuvre brute qui
réclame un effort de la part du lecteur, mais quand j'écris, je désire
toucher un maximum de gens pour faire partager des émotions et, peut-être,
une certaine vision des choses. Car, mine de rien, derrière les gags, se
dessine parfois un peu de fond.
Trouvère
Thierry Leprévost est né en 1969 dans l’Yonne. Ami
de longue date de Maïorana et d’Ayroles, il fréquente les bancs de
l’école des Beaux-Arts d’Agoulême. Après un détour par le dessin animé,
il participe à la fondation de la revue « Ego Comme X » et devient le
coloriste attitré de son altesse le prince Romuald. |
«Le choix d’animaux comme personnages de mes récits est un
effet, et non une cause ! »
La noirceur du héros :
Dans le premier Garulfo, j'avais utilisé des figures
archétypales. Mais, à partir du tome 3, j'ai sensiblement changé : il n'y a
plus ni méchants ni gentils... tous les personnages sont humains, y compris
les animaux! Dans ce 2e cycle, on peut chercher longuement un méchant, il
n'y en a pas ; certains sont plus antipathiques que d'autres, mais aucun
n'es
irrécupérable. J'ai trouvé amusant de partir de figures archétypales
archi-connues (tels que le prince, la princesse, le roi, etc.) auxquelles on
attache un caractère bien précis, et de détourner les personnalités pour
voir ce qui se cache enfoui profondément en eux. On ne peut pas pour autant
parler de récit psychologique, car on n'a pas vraiment le temps
d'approfondir quand les personnages sont tout le temps en train de courir,
de se battre en duel, ou de tomber d'une falaise, mais, au bout de six
albums, je m'aperçois que j'ai perdu une certaine naïveté dans l'écriture.
J'ai l'impression de maîtriser un peu mieux tout ce qui est du ressort de la
psychologie des personnages ; au départ, je pensais qu'il fallait forcément
des textes, qu'il fallait expliciter beaucoup alors que parfois tout passe
dans un regard, un geste, une attitude, un silence... J'ai eu des périodes
de doute, je craignais que la BD soit un medium qui ne permet pas la
subtilité et oblige à un certain simplisme. Aujourd'hui, je m'aperçois, que
les possibilités
de ce medium sont infinies. On peut faire beaucoup de choses, très subtiles,
grâce à ce mélange de textes, de dessins et de découpages. La bande dessinée
est vraiment un moyen d'expression très riche, qui n'en est encore qu'à ses
balbutiements !
Diptyque et tétralogie :
Ce découpage des six albums n'est pas volontaire. Le premier cycle est une
seule et même histoire que j'aurais bien aimé voir en un album de 92 pages.
Le « 46 pages » est un format purement arbitraire issu d'une certaine
tradition, mais qui laisse en définitive assez peu de place... Pour le 2e
tome de la série, j'ai, par exemple, été obligé de sabrer dans le scénario
de façon épouvantable. Le second cycle était originellement prévu en trois
tomes, mais je n'ai pas eu assez de place (rires), et il m'a fallu un
quatrième album de 48 pages !
Poucet
Cadet de sept frères abandonnés par leurs
parents dans la Forêt, il a appris très tôt à se débrouiller seul. Il
sera tour à tour mendiant, brigand, écuyer, et peut-être un jour,
comme il le rêve, chevalier. « Eh oui ! Fini, Poucet des grands
chemins… Voici Poucet l’écuyer ! » |
Ils vécurent heureux...
L’avenir de Garulfo ? Je me demande si je ne devrais pas
maintenir un certain devoir de réserve quant à ce sujet (rires).
Sérieusement, je ne sais pas. Bruno aurait très envie de dessiner un nouvel
épisode, ce qui me fait très plaisir et me motive ; mais j'ai
personnellement l'impression, après avoir indiqué le mot «fin» sur la 48e
planche de ce dernier tome, que j'ai bouclé la boucle et définitivement
terminé cette histoire. Cependant, il y a plein de personnages qui ont
acquis une certaine épaisseur au fil des albums et qui n'ont,
malheureusement, pas eu assez de temps de parole... Je suis assez tenté...
Après six albums, avec la densité acquise par l'univers et les personnages,
tout marche tout seul. Aujourd'hui, je n'ai plus à réfléchir sur ce que va
entreprendre ou dire tel héros... Faire une suite ne serait donc pas
techniquement difficile car les protagonistes agissent presque par
eux-mêmes. Par contre, est-ce que j'ai encore quelque chose à dire à propos
de cet univers ? Rien n'est moins sûr... En tout cas, pour le moment, je
n'ai pas encore trouvé d'idée suffisamment forte pour relancer un nouveau
cycle ; et il est hors de question de faire tourner une histoire au rabais
dans le seul but de faire une suite. Tout espoir n'est cependant pas perdu,
car l'idée du tome 3 m'avait été fournie pas Jean-Luc Masbou, et celle de
l'ogre et du lutin m'avait été soufflée par Jean-Christophe Fournier ; je
leur ai donc demandé de réfléchir à nouveau... Je devrais peut-être lancer
une souscription d'idées (rires) ?
Le ménestrel reprend la route :
Je suis sur le dessin d'une nouvelle série d’heroic-fantasy, à la
fois très fidèle aux canons du genre tout en étant complètement décalée.
Parallèlement, il faut que je m'occupe d'un scénario pour Bruno, car, que
l'on continue ou non Garulfo, nous poursuivrons vraisemblablement notre
collaboration... c'est un vrai bonheur de bosser avec lui, il est motivé,
perfectionniste, exigeant et très à l'écoute... J'ai des projets de
scénarios, mais je ne sais pas encore lequel sera l'élu : des histoires de
lansquenets, de libertins ou de vampires... allez savoir. Quel qu'il soit,
le récit sera toujours teinté d'humour, car j'ai bien peur que ce soit ma
marque de fabrique. Quand j'écris un récit sérieux, je n'arrive pas à tenir
plus de trois pages ; malgré tous mes efforts, il y a toujours un personnage
qui dit une réplique stupide qui casse l'ambiance...
Propos recueillis par Miroslav Dragan ( Pavillon Rouge N°14)