TAVIS jeune routier de la SF

(Michaël Espinosa. Ancien rédac chef de Slash : Imagivore, chroniqueur ciné, BD et livres S-F clans plusieurs fanzines dans Pavillon Rouge N°2 Juillet 2001)
 

Depuis 1997, grâce au dessin dynamique de Christophe Quet et au scénario fouillé de Fred Duval, la série Travis propulse les lecteurs dans un monde cyberpunk aux enjeux économiques machiavéliques. Science-fiction, action débridée et réflexions sur notre société sont au rendez-vous pour ce cocktail détonant. Quel et Duval racontent...


Comment est née l'aventure de Travis ?
Fred Duval : J'avais dé|à commencé à écrire les aventure de Carmen Mc Callum dans un univers que l'affectionna particulièrement : la Terre en 2050. Je voulais continuer à en raconter l'histoire, mais sous un angle de vue différent. J'ai donc choisi un routier de l'espace qui serait embarqué contre son gré dans des aventures dingues. Mais la source originelle du récit est une idée que j'ai eue avec Olivier Vatine : faire un Die Hard dans une station spatiale.


Comment s'est passée votre première rencontre ?
Christophe Quet : On nous a présentés après que Fred Blanchard a vu les dessins que j'avais envoyés à Casus Belli. J'ai ensuite fait deux planches d'essai à partir du scénario de Carmen. Enfin, on a demandé à Fred si mon dessin lui convenait...
F. D. : Et | ai dit oui immédiatement ! Le story-board était vraiment très bon. Cependant, il nous a fallu plusieurs mois avant que le proiet ne démarre véritablement.


Comment s'est construit le premier album (Huracàn) ?
C. Q. : J y suis un peu allé les yeux fermés. Je savais qu'il traitait d'une prise d'otages dans une station spatiale, mais rien de plus.
F D. : Pour moi, 1 idée était très précise. Cet album pouvait presque être un one shot qui se centrait sur Vlad. Il est clair que le héros de cette première histoire, c'est Vlad ! Avec ses problèmes personnels, sa dépendance aux machines, sa détresse .. Son côté « gris » était très intéressant à exploiter.


Comment s'organise votre collaboration ?
C Q. : Fred me parle de son histoire. Il m'envoie un plan détaillé, séquence par séquence. Il me donne celles qui se déroulent dans le même décor ou avec le même personnage. Je peux donc travailler sur deux planches, ou sur douze.

F. D. : On attache beaucoup d'importance à la grammaire cinématographique et aux choix de mise en scène. D'où un « séquencier » précis et très visuel. Dès lors, je rédige la séquence case par case, tout en laissant quelques libertés pour pouvoir rebondir.
 

Il était une fois Travis :
Rouflaquettes rousses au vent, Travis n'aurait jamais cru qu'en ce matin de 2050 sa vie tranquille de pilote serait bousculée par un commando de mercenaires, planqués dans la soute de sa navette. Menée par Vlad, la troupe prend en otage le personnel de la station de régulation météo Huracàn. Travis se voit contraint de sauver la belle Anna Carisen, et de se sortir de ce guêpier.
Les ennuis ne font, malheureusement que commencer ! L'entité mystérieuse qui a ordonné cette opération vend ses services aux plus offrants : les deux plus grandes multinationales, B&M et Transgenic, qui se livrent une guerre sans merci. Ballotté au milieu de ce caphamaüm, Travis doit aider deux charmantes cosmonautes, récupérer une plante transgénique, venir en aide à Vlad (!), rechercher Anna Carisen mystérieusement disparue, libérer des membres de l'O.N.U. et démasquer l'entité machiavélique... Sans oublier de penser à sauver sa peau. Bref, beaucoup trop de bouleversements pour un simple routier de l'espace, non ?

 

Steve TRAVIS :
Né à Londres le 7 novembre 2018. Héros, pilote de navette. Opiniâtre, combatif, borné et caractériel. Grand cœur. Plongé malgré lui dans la guerre des multinationales. Rêve de récupérer sa vie passée.

 

Vlad NYRKI :
Né à Odense (Danemark) le 14 octobre 2020. Mercenaire sur la voie de la Rédemption. Méchant à cicatrice. Dépendant aux nanomachines qui te cancérisent. Froid et déterminé. Doit faire des choix pour sauver sa peau.


"Travis est un gars simple, un routier de l'espace qui exécute son job sans rien demander à personne"
 

Comment se déroule le travail des planches ?
C. Q. : Je suis le découpage de Fred. Mais il arrive que |e change des cadrages, que je surdécoupe ou que je supprime une case. Toutes ces modifications concernent plutôt des points techniques de narration, et pas le fond de l'histoire.
F. D. ; Tout ce que Christophe fait est réalisé pour améliorer l'histoire, et non pour la modifier. Quand je vois la séquence dessinée, ça me donne des idées pour relancer la suivante. Les idées me viennent régulièrement. Il peut y avoir des modifications, tant que mon histoire n'est pas bousculée. En fait, je sais ce que je ne veux pas, et je le dis !


Désiriez-vous faire du personnage de Travis l'antithèse de Carmen Me Callum ?
F. D. : Contrairement à Carmen Mc Callum, qui est une mercenaire froide et efficace, Travis est un gars simple, un routier de l'espace qui exécute son job sans rien demander à personne. Le voilà pris au milieu d'un imbroglio infernal, organisé par des gens du même acabit que Carmen. Cette idée d'avoir le point de vue d'un homme de condition modeste, sur le même univers dirigé par les multinationales, m'intéressait grandement.

Vous abordez nombre de problèmes qui font aujourd'hui la une des journaux, tels le dérèglement du climat, les plantes transgéniques, la puissance du réseau Internet... Voulez-vous faire passer un message ?
F. D. : J'ai une formation d'historien, et donc une déformation professionnelle qui est de me poser des questions sur la société. Travis se déroule en 2050, mais s'intéresse à notre époque. D'ailleurs, je pense que lorsque l'on écrit une histoire qui se déroule dans le futur (ou dans le passé), on parle toujours de son présent. J'essaye de montrer dans Travis que la technologie est formidable, mais pas aux mains de n'importe qui. Je pense aussi que, demain comme aujourd'hui, la technologie ne sera pas partagée par tous. Les puissants la possèdent, tandis que beaucoup d'hommes utilisent encore des outils du XIXe siècle. Attention, la série n'est pas, pour autant, un exposé politique, c'est avant tout une série de divertissement ! Par exemple, dans le tome 2 (Opération Minotaure), j'évoque le problème de la pollution des fleuves guyanais par les chercheurs d'or ; c'est en filigrane dans l'album, mais la question est d'actualité. J'ai une conscience écologique de base - sans être un militant forcené - et j'y tiens !
 

Sir BAXTER :
Né à Londres, officiellement en 1993. (selon les mêmes rumeurs, en 1968).

 

Lord MARTIN :
Né à Londres, officiellement en 1992. (Selon les mêmes rumeurs, en 1972). Dirigeants de la multinationale agroalimentaire B&M. Vénaux. Sans cœur. Prêts à trahir, mentir, éliminer ou cryogéniser pour défendre leurs intérêts.


Vous décrivez un monde aux mains de deux multinationales agroalimentaires. Ne serait-ce pas du « Vivendi caché » ?
F. D. : J'ai utilisé des multinationales agroalimentaires, car si l'Homme peut se passer de PlayStation et de DVD, il ne peut pas se passer de nourriture. C'est peut-être caricatural, mais ça me permet de parler des enjeux économiques et politique du moment. Cependant, je vais plus loin avec le conflit entre les deux entreprises : imaginez que Pepsi déclare une guerre armée à Coca-Cola ! Il ne faut pas se cacher les yeux, le monde passe des mains des politiques aux mains des financiers. Où se trouve l'espèce humaine dans tout cela ? Nulle part. Et c'est très grave !
 

Christophe QUET face à sa feuille blanche :
Si j'accroche au découpage, je m'engage tête baissée. Sinon, je m'attarde sur un nouveau découpage et le démarrage est plus long. Lorsque je travaille, c'est un peu comme si je prenais un rôle, celui du méchant par exemple, et que je le rejouais avec mes propres mots. J'essaye toujours de rendre la planche la plus lisible et la plus dynamique possible. Si Fred ne la comprend pas d'entrée, je dois y remédier. Je prends le plus de plaisir lors du story-board, ce moment privilégié où l'on met en place la narration. Pour moi, la bande dessinée, c'est raconter des histoires avec des dessins et du texte. Je ne suis pas vraiment un illustrateur. D'ailleurs, je préfère toujours un dessin lorsqu'il est terminé, quand ma page est remplie ; le blanc de la planche me met mal à l'aise. Je fais très peu de couleurs et je préfère travailler avec dès niveaux de gris car je suis très pointilleux sur la lumière.


Divertissement...
F. D. : Attention ! Travis c'est 80 % de divertissement. Avec Christophe, nous voulions nous éclater avant tout sur de la S-F de série B. Rien de plus. Nous cherchions un scénario carré et un arrière-plan plus sérieux pour lui donner un peu de corps. J'ai un propos clair pour chaque album. Dans le premier, c'est « tout acte a une conséquence bien précise ». Dans Opération Minotaure, c'est plutôt « les hasards malheureux peuvent occasionner des actions », comme les débris du module qui s'écrasent sur le village dans la forêt. Pour le troisième tome (Agent du Chaos), tout gravite autour de la dégénérescence et de la régression. Enfin, dans Protocole Oslo, je trate de la vieillesse et du passage de l'état actif, dans une société, à celui " d'inutile ». Si le lecteur peut, en se divertissant, trouver des idées intéressantes, j'en suis ravi.
 

...Et technologie ?
C. Q. : J'aime beaucoup la technologie. Je lis beaucoup de revues techniques et scientifiques. J'avais d'ailleurs suggéré à Fred le principe des microbilles dans les doigts de Vlad pour reproduire les empreintes, dans le tome 3. J'apporte des idées ou des avis, sur l'armement ou sur les véhicules, principalement d'un point de vue visuel. Comme dans Opération M/notaure, l'exosquelette était sur un de mes crobards et Fred avait trouvé ça bien. On l'a donc intégré à l'histoire.
 

Dario FULCI :
Né à New York en 2008. Directeur de la multinationale agroalimentaire Transgenic. Calculateur. Sous des dehors d'humanité, entretient son instinct de manipulateur.


Comment ont été développés graphiquement les personnages ?
C. Q. : J'ai beaucoup réfléchi au physique de Travis, Pour certains personnages, Fred me fournit des indications ; par exemple, Vlad devait avoir des yeux artificiels et une cicatrice. Pour d'autres, seul leur âge m'était précisé. Lors du développement du tueur qui remplace Vlad, j'ai proposé que ce soit une femme. Pour les cosmonautes, nous avons décidé d'en faire deux femmes afin d'éviter les deux hommes trop clichés ou le couple trop glamour. Je suis donc assez libre de définir les physiques.
F. D. : C'est vrai que je décris assez peu les personnages. J'y pense beaucoup, mais je les visualise seulement grâce aux dessins de Christophe. Ici aussi, je sais surtout ce que je ne veux pas.
 

D'où sont issues vos inspirations graphiques ?
C. Q. : J'ai mis des rouflaquettes à Travis, parce que je n'étais pas assez sûr de mon style. Elles devaient me servir de repère visuel, au cas où je n'arriverais pas à le maîtriser. Pour le reste, mes inspirations sont diverses. Nous voulions conserver un aspect futuriste, tout en restant proche d'aujourd'hui.
Par exemple, Baxter et Martin vivent dans un vieux château anglais entouré de paraboles. Pour les sources en tant que telles, je me sers des magazines de cinéma ou scientifiques. Ou, plus simplement, je m'inspire de la réalité, comme déformer un vrai Caterpil/ar pour en faire un engin du futur. Par contre, la télévision ne m'aide pas, parce que je ne l'ai pas.


Le tome 5 signe-t-il la fin de Travis ?
C. Q. : Nous repartirons pour une nouvelle aventure en conservant, bien sûr, le personnage de Travis... Mais aussi celui d'Oncle Terry, car il plaît à Fred.
F. D. : En effet. La deuxième histoire aura un sujet plus terre-à-terre. Il n'y aura pas d’enjeu international mais des enjeux plus personnels, plus proches des personnages. Il faudra donc s attendre à des changements radicaux. Je ne veux pas d'un produit calibré, d'autant que je prends du plaisir à renouveler les choses. J'espère que le public suivra, et que je pourrai écrire 20 ou 30 tomes de Travis.


Des projets individuels ?
C. Q. : J'ai peu de projets, mais beaucoup d'envies, car un album me prend beaucoup de temps. En effet, je consacre environ
treize mois à un Travis (le premier m'avait pris deux ans).
F. D. : J'ai un western (Gibier de potence) en collaboration avec François Capuron, et dessiné par Fabrice Jarzaguet, qui vient de sortir. Chez Vents d'Ouest, j'ai monté un projet d'aventure dans un monde à la Mad Max, avec des poursuites en voiture. Je prépare aussi un troisième tome de Lieutenant Mac Fly, je trouve ça drôle. Et puis le nouveau Carmen se précise de plus en plus dans ma tête.
 

Le BOSS :
Né quelque part aux environs de 2029. Super méchant. Modélisation 3D. Avatar de 7 cerveaux. Homme d’affaires sans pitié. Dur. Froid. Prêt à tout pour déstabiliser l’économie mondiale.


"On voulait faire un Die Hard dans une station spatiale."
 

Paquito MANNONI dit « Pacman »
Né à Addis-Abeba le 3 février 2022. Mercenaire, spécialiste en informatique. Acolyte de Vlad. Irradié. Nanodépendnat. Accro au Réseau. Détenteur de la vérité sur le Boss.


Fred Duval face à sa feuille blanche.
J'ai d'abord une longue période de réflexion. J'attends de trouver le climax, ce moment culminant de l'histoire. Ensuite, je définis l'enjeu central et les personnages, ce qui n'est pas le plus dur. En revanche, trouver le propos fondamental de l'histoire est bien plus
difficile. Je cherche à résumer le sujet en une phrase, comme un pitch en cinéma. Cette idée bien ancrée, je peux commencer à rédiger tes séquences. Je les découpe case par case, avec les dialogues. J'ai une écriture très visuelle, ce qui rend mes descriptions assez précises. Enfin, je me réserve toujours la dernière planche en dessert. C'est une sorte d'épilogue à l'album, qui sort de l'action... C'est un peu mon générique de fin!
 

Anna CARLSEN :
Née en 2020. Ingénieur sur la station Huracàn. Ex-femme de Inger Carlsen et ex-associée de Vlad. Douée. Forte. Intelligente. Cryogénisée de force par B&M. Personnage clé de la guerre des multinationales.


 

PEGGY :
Née dans l'ordinateur de bord de la navette de Travis en 2050. Intelligence artificielle modifiée illégalement. Bien roulée. Charmante. Serviable. Bavarde. Élément clé de la guerre B&M/Transgenic."

 

"Je ne veux pas d’un produit calibré"
 

La série Travis comprend à ce jour quatre récits :
Huracàn
Opération Minotaure
Agent du Chaos
Protocole Oslo
Fred Duval et ses collaborateurs
Fish'n'Ships (1 volume - Éditions A.P.P.) ; dessin de Turlan
You know what ? (1 volume - Éditions Glénat) ; dessin Formnosa
500 fusils (1 volume - Éditions Delcourt) ; dessin de Lamy
Carmen Me Callum (5 volumes - Éditions Delcourt) ; dessin de Gess, co-scénario de Cailteteau
Lieutenant Mac F/y (2 volumes - Éditions Delcourt) ; dessin de Barbaud
Gibier de potence (1 volume - Éditions Delcourt) ; dessin de Jarzaguet, co-scénario de Capuron