Prologue : Premières esquisses 1951
Mes deux co-pères et compères René
GOSCINNY et Albert UDERZO l'ont souvent dit, redit, conté et raconté, le petit
Gaulois que je suis n'est pas le premier personnage qui soit sorti de leur
imagination, tant s'en faut. Il est utile de savoir que dès leur première
rencontre dans une agence de presse, dont les bureaux siégeaient sur les
Champs Elysées à Paris, cela fit rapidement tilt entre eux deux.
Bien que Français, Goscinny arrivait tout droit de New York et Uderzo, de la rue
de Montreuil dans le 11ème arrondissement.
L'un était d'origine russo-polonaise,
né à Paris. Il vécut une grande partie de son enfance et de son adolescence
d'abord en Argentine puis aux Etats-Unis.
L'autre, bien que d'origine italienne (mais oui!) est natif de la région
champenoise, mais les souvenirs de son enfance et de son adolescence ne vont pas
plus loin que Paris et sa proche banlieue. (Et dire que l'on a souvent soupçonné
les auteurs de mes jours d'être un
peu xénophobes!)
Donc, bien que d'origine et d'un
environnement assez différents, ils ont cependant un langage commun : celui de
l'humour. Cet humour n'a rien de commun avec celui dit «tarte à la crème», ni
celui dont on se prend la tête pour en saisir le 36ème degré. La conception
qu'ils en ont est assez différente de celle pratiquée, alors, dans la bande
dessinée. Nous sommes en 1951 et le culot de leurs 24 ans les pousse à vouloir
faire changer les choses.
Cette passion commune à vouloir amuser les autres autant qu'eux-mêmes les amène
tout naturellement à réunir leurs disciplines préférées. René ce sera le texte,
Albert le dessin pour une aventure qui durera vingt-six ans. On connaît
malheureusement la cause tragique de son démantèlement.
Leur toute première idée sera de raconter les mésaventures d'un jeune Indien
vivant dans une réserve, aux prises avec la vie moderne américaine qui entoure
cette réserve : une enclave qui a gardé ses traditions, ses manières de vivre
ancestrales.
C'est ainsi que naîtra mon grand frère OUMPAH-PAH dans sa première conception.
Ce sera également, pour ses auteurs, leurs premières déceptions.

Goscinny a écrit le scénario et
Uderzo commence les croquis des principaux personnages d'où suivront les
premières planches. Notons au passage que papa Albert, du bout de son crayon, a
une manie : celle de croquer ses héros sous la forme d'un Schwarzenegger avant
l'heure, gonflé à l'hélium. (Voir les précédents commis par lui seul, comme Arys
Buck, Prince Rollin et Belloy). Il en sera de même pour OUMPAH-PAH qui sera
heureusement le dernier de la série dans ce genre de personnage microcéphale.
Apparaîtront, plus tard, certains qui seront seulement un peu enveloppés.
Mais voilà! L'aventure commence mal pour les deux co-auteurs. Leur agent, chargé
de placer leurs séries, essaie vainement de proposer à de nombreux périodiques
cette première et malheureuse tentative.
Bah! Ce n'est que partie remise. Ils sont jeunes et ont du coeur au ventre. En
attendant des jours meilleurs, et comme il faut bien vivre, ils vont traiter en
bandes dessinées une rubrique du savoir-vivre pour un grand magazine féminin.
René se plonge désespérément mais sérieusement dans une brochure spécialisée sur
le thème, qu'Albert illustre avec très peu d'enthousiasme et beaucoup de crainte
pour leur avenir.
Un jour l'espoir renaît. Ils apprennent la visite à l'agence d'un grand éditeur
belge. Pourquoi ne pas le nommer? C'est l'un des frères Dupuis, ceux-là mêmes
qui éditent, entre autres, le journal de SPIROU et le magazine féminin BONNES
SOIREES.
Fiévreusement, les deux compères punaisent les croquis d'OUMPAH-PAH sur un des
murs de l'agence. L'attente est longue mais le Messie arrive enfin. Il jette un
oeil distrait sur le mur et dit d'un ton paternaliste : C'est très bien!
Continuez à vous entraîner les enfants! Là, ceux qui deviendront plus tard les
pères des irréductibles Gaulois apprendront vraiment ce que veut dire recevoir
le ciel sur la tête.
L'éditeur Dupuis, encore lui, a la
bonne idée (il s'avérera plus tard qu'elle sera mauvaise) de tenter la grande
aventure américaine en éditant à New York, un nouveau journal de télévision : TV
FAMILY.
René Goscinny, qui a fait des pieds et des mains pour venir s'installer à Paris
dans l'espoir d'y vivre en permanence, se voit contraint de retourner aux
Etats-Unis afin de monter et d'organiser l'équipe qui va former la rédaction de
ce magazine. Il est en effet le seul à parler couramment l'anglais.
Il met dans ses bagages les premières planches d'OUMPAH PAH en espérant que
là-bas, peut-être?...
Grâce au long séjour qu'il a
précédemment fait a New York, papa René connaît beaucoup d'auteurs et de
dessinateurs de bandes dessinées dont les noms prestigieux résonneront encore
dans la mémoire de certains : Harvey Kurtzman, Bill Elder, Jack Davis et
bien d'autres... Tous sont amusés de voir des petits Français qui veulent
traiter des histoires humoristiques sur les Indiens d'Amérique.
Confraternellement, ils feront en sorte que René puisse rencontrer le propre
lettreur de Milton Caniff, pour qu'il réécrive en anglais le texte des bulles.
A Paris, Albert est très flatté d'apprendre la nouvelle, mais, malgré le
lettrage à la Milton Caniff, OUMPAH-PAH ne rencontre pas plus d'intérêt là-bas
qu'en Gaule.
Deuxième grande déception.
D'autres connaîtront un autre genre de déception. En effet, les Editions Dupuis
se voient contraintes d'arrêter la parution de leur journal TV après seulement
quelques mois d'exploitation.
Le seul qui en ressente une joie profonde, c'est René Goscinny qui rentre au
bercail, soulagé de cette aventure.
Albert Uderzo retrouve ses planches d'OUMPAH-PAH avec son prestigieux lettrage
et il les range dans un placard d'où elles ne ressortiront que bien des années
plus tard.
1. Milton Caniff est un auteur-dessinateur américain remarquable oui a marque
profondément son époque par un style nouveau et très personnel qui inspirera
bien des dessinateurs. Pour mémoire, il est l'auteur-dessinateur, entre autres
de Terry et les Pirates et du célèbre Steve Canyon
La
seconde naissance de son grand frère Oumpah-Pah
- La
vrai naissance 1958 -
Nos «pater familias» Goscinny et
Uderzo sont des entêtés. C'est là leur moindre défaut. Sept ans plus tard et un
an avant ma propre naissance, (nous sommes donc en 1958), après avoir créé
quelques autres séries et fait maints travaux alimentaires, ils décident
d'un commun accord de donner une seconde chance à OUMPAH-PAH.
René en transporte les aventures au dix-huitième siècle et le graphisme d'Albert
a un peu évolué (il n'en reste pas moins qu'OUMPAH-PAH est toujours gonflé à
l'hélium).
OUMPAH-PAH appartient maintenant à la tribu des SHAVASHAVAS, en confrontation
avec les premiers Européens qui découvrent le Nouveau Monde. Bien entendu, tout
cela dans un délire humoristique qui ne se réfère que de très loin à la vérité
historique, comme d'habitude.
Après ma naissance en 1959, certains trouveront une parenté évidente dans la
conception et l'esprit de nos deux personnages (bien que moi, je ne sois pas
gonflé à l'hélium).
Mais revenons à l'année 1958. Goscinny collabore depuis quelque temps au journal
TINTIN en écrivant des scenarii pour divers dessinateurs. Il présente OUMPAH-PAH
au rédacteur en chef du moment, André Fernez, qui accepte enfin le premier
épisode,
OUMPAH-PAH le Peau-Rouge, qui paraît dans le numéro 514 du journal TINTIN du 2
avril 1958. Suivra un album que l'on appelle broché parce que la couverture est
plus souple que celle qui est traditionnellement cartonnée, édité par les
Editions du Lombard en 1961.
Quatre autres épisodes suivront toujours dans le journal de TINTIN. Ce sont dans
l'ordre :
OUMPAH-PAH sur le sentier de la guerre
OUMPAH-PAH et les pirates
OUMPAH-PAH et la mission secrète
OUMPAH-PAH contre FOIE-MALADE
La décision d'arrêter la série par
ses auteurs mérite d'être racontée. Le journal TINTIN avait pour habitude, à
cette époque, de proposer à ses lecteurs un référendum mensuel afin de connaître
le classement de leurs préférences sur les séries contenues dans le journal,
ceci, afin de créer une sorte d'émulation chez les auteurs dessinateurs.
Il faut préciser qu'il existait deux versions de ce journal. La première en
Belgique, en édition originale, la seconde en France, éditée sous licence par
les Editions Dargaud. Le référendum en question n'existait que pour l'édition
belge. Or, il est apparu que les aventures d'OUMPAH-PAH arrivaient seulement en
onzième position dans le choix des lecteurs belges. Autant dire en queue de
peloton. Evidemment,
l'orgueil paternel des auteurs de nos jours en a pris un violent coup. Nous
sommes alors en 1961. Le journal PILOTE, pour lequel j'ai été créé, a déjà plus
de deux années d'existence et prend beaucoup de temps à Goscinny et Uderzo qui
sont surchargés de travail. Bien qu'ils
éprouvent toujours autant de plaisir à la conception des aventures d'OUMPAH-PAH,
ils prennent alors gravement la décision d'arrêter la série, se servant comme
prétexte de sa mauvaise position dans ce référendum, mais aussi par coquetterie,
sachant pertinemment que leurs arrières étaient assurés par leurs travaux dans
PILOTE.
Si aujourd'hui Albert Uderzo prend le risque et la résolution de rééditer ces
cinq épisodes, c'est qu'il estime, à tort ou à raison, qu'ils méritent d'être
connus par une nouvelle génération de lecteurs et revus par ceux qui ont
toujours dit leur regret de voir disparaître
cette série.
Je souhaite bon vent à mes frères de papier et tout d'abord à OUMPAH-PAH le
Peau-Rouge et son ami de grande noblesse HUBERT DE LA PATE FEUILLETEE, à
GROS-BISON le chef de la tribu des SHAVASHAVAS, à Y-PLEUT le sorcier, à N'A-QU'UNE-DENT-MAIS-ELLE-EST-TOMBÉE-ALORS-MAINTENANT-N'EN-A-PLUS,
à la tribu des PIEDS-PLATS, ennemis héréditaires des SHAVASHAVAS et au
personnage qui possède le nom le plus long de toute l'histoire de la bande
dessinée. Je veux parler de Frantz KTAZENBLUMMERSWISHUNDWAGENPLAFTEMBOMM (ouf!).
ASTERIX
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