Jung parle de Kwaidan

Pavillon Rouge N°11
 

Jeux de masques et d'apparences, peinture du Japon médiéval, spectres et légendes, quête de soi-même. Kwaidan, une œuvre envoû-
tante dont Jung nous offre les clés...

Récits de spectres : En japonais, « kwaidan » signifie spectres. Dans cette série, les fantômes servent de révélateur à l'héroïne (Setsuko) dans sa quête d'elle-même. La jeune fille, sans visage et masquée, pressent qu'elle doit se rendre au lac d'Amada. Là-bas, règne le spectre de Dame Orin, défigurée deux siècles auparavant, par sa sœur Dame Akane, jalouse et amoureuse du même homme.
Désespérée par sa beauté perdue, Dame Orin a préféré se noyer. Son amant, revenu de la guerre, se crève les yeux avant de la rejoindre dans la mort. Ainsi ensemencées par tant de pleurs, les eaux du lac procurent depuis, à la maléfique Dame Akane, une immortalité qu'elle défend en s'appuyant sur une armée de spectres.

Quête de soi-même : Dans ce deuxième album, Setsuko fait son apprentissage. Elle se transforme intérieurement et, de passive, devient progressivement maîtresse de son destin. Dans le prochain et dernier tome viendra l'accomplissement... Kwaidan apparaît comme une troublante histoire d'amour entre deux personnages marginalisés par leur handicap. Mais également comme « une quête d'identité, de perfection ». Perfection qui, pour Jung, n'existe pas : il faut apprendre à " s'accepter tel qu'on est, ce qui n'est déjà pas si mal ».

Précédents japonais : Jung a choisi le Japon médiéval pour cadre de sa trilogie. " Ce pays me fascine depuis très longtemps, mais l'histoire aurait pu se dérouler n'importe où. » Et si son titre fait référence à l'oeuvre de l'écrivain japonais, d'origine britannique, L. Hearn et à son adaptation par le cinéaste Kobayashi, la parenté se limite à un même « esprit japonais : très peu de
spectaculaire et une vision poétique de la mort, des fantômes et de ce monde sous-jacent ».

Œuvre poétique : Malgré ses combats et ses fantômes, Kwaidan est avant tout une œuvre poétique. Poésie des mots, des situations et des références. Magie de couleurs presque monochromes à l'intérieur d'une même scène pour en souligner l'ambiance. Souplesse onirique du dessin et consistance ectoplasmique des spectres. Jung crée une fois de plus un univers cohérent et personnel. Et use d'un dessin, d'un découpage sans cesse plus habile. "Je n'aime pas faire du sur place. Si je pouvais, je ferais du Miyazaki (auteur
de Princesse Mononoke ou Nausicaa, ndlr) !»

Muse de ses scénaristes : Jung, qui avait jusqu'à présent illustré des histoires écrites par Reyiandt, collabore dorénavant avec sa femme. Malgré ce changement, une étrange continuité lie les scénarios de ses albums. Comme si le dessinateur se faisait la muse de ses scénaristes : le dernier album de la série Yasuda s'intitulait La Femme sans visage et mettait en scène une femme parée d'un masque. Déjà le récit se passait au Japon près d'un lac, mais dans une époque plus contemporaine. Jung est bien un auteur qui creuse sa veine patiemment, avec sans cesse davantage d'inspiration et de magie !